Ragged and dirty

exposition personnelle, galerie Florence Loewy, Paris,  avril 2024


Western myosotis ou les énigmes de Lucille Uhlrich
Géraldine Gourbe


« Vos vêtements sont en loques et sales
Alors, faites-le déguenillé et sale
Et les prophéties sont déguenillées et sales »

Blues « En lambeaux et sales » par William Brown, 1942


Il y aurait des notes échappées d’une guitare country qui ponctueraient chaque phrase lancée par une voix lasse d’un chanteur de blues. Le duo composé d’une guitare au son pincé et d’une plainte mélancolique, nous venant des provinces du sud des États-Unis, plane au-dessus de ce qui pourrait nous apparaître comme une suite de rébus. Une sorte d’énigmes élaborées au fur et à mesure des heures passées dans l’atelier à partir de matières premières récoltées dans les Vosges et de pigments radicalement colorés. A l’image des fresques pariétales, toutes les hypothèses sur l’origine de ces œuvres convergent : l’empreinte de la main derrière chaque objet, le trait tremblé du dessin et les préparatifs à partir des matériaux trouvés dans les environs qui laissent le temps de concevoir, loin du spontanéisme ou de l’apparente naïveté longtemps projetée sur cette partie de notre histoire de l’art.

Une particularité cependant échappe à la référence, au jeu bien aimé des affinités, le contraste entre cet aplat noir de fumée, bleu du myosotis, violet gris et un objet accroché, suspendu pesant de toute sa gravité : une fleur cramée qui réapparaît d’outre-tombe exagérément grandie ou des sabots, jaune fluo à la forme lourde, revenus de l’autre côté du miroir d’Alice aux pays des merveilles. Un sentiment que quelque chose déraille et qui ne pourrait être contenu par ce geste convenu dans les expositions de céramique où l’on recourt, le plus souvent, au socle ou à la table de maquettes. Lucille Uhlrich s’amuse à tordre nos attentes dans la mesure où ses formes palpées, malaxées, cuites redeviennent images, faisant fi ou presque de leur dimension sculpturale. A moins que ce soit l’inverse ?

Ou bien que ce soit quelque chose de l’ordre des restes d’une ancienne admiration, celle que l’artiste a eue pour le californien Guy de Cointet lorsqu’elle était étudiante aux beaux-arts de Lyon. Les formes à la fois en relief et, posées à plat sur une surface colorée éclatante, relèvent aussi de scènes de théâtre comme lorsque les comédiennes des pièces de Guy de Cointet se retirent et qu’il ne reste que le display. Un environnement vide de sens logique, de bavardages (drôles, surréalistes ou décalés) mais rempli d’encodages, d’abstraction d’un texte perdu et d’écriture miroir. Quelque chose de l’ordre de la conversation s’engagerait et serait rendu, tout de suite, artificiel dans sa capacité à articuler un, le message. A la fois muet et bavard.

Si une société magique est à l’œuvre derrière ce monde suspendu, c’est peut-être que le rapport au temps y est beaucoup plus secret que celui que nous expérimentons aujourd’hui. Il y a le temps de la récolte de matériaux, l’impact du climat, des saisons qui jouent sur leur matière, de la cuisson du four - qui est petit et nécessite la découpe de la pièce en plusieurs parties. Puis ce que Lucille Uhrich appelle le moment de la réparation des pièces où elle rassemble les différentes parties d’une œuvre, les repeint ou redessine dessus, ainsi que tout ce dispositif de mise en tension de la céramique, retenue par un crochet qui peut engager toute sa survivance.

L’impact aussi d’un Chronos social sur nos corps comme le temps qui passe sur les gestes et le labor des grands-parents du Lucille qui travaillaient la terre du potager (où elle vit et travaille aujourd’hui) et s’ancraient ainsi toujours un peu plus dans un paysage : leurs sabots dans leur jardin incarnent, encore aujourd’hui, des vigies symboliques. Les paysans qui fanent autour de la ferme-atelier de l’artiste et qui la fournissent en foin ou encore le temps raccourci et fragmentée de l’ultra-capitalisme qui amenuise nos capacités de troc et fragilise les communautés qui en vivent pleinement. Un petit assemblage, Les larmes du gitan, très californien encapsule la violence infligée à certain.es, comme la sédentarisation forcée.

Cette réalité franche et rude, sorte de western social se déroulant dans les montagnes des Vosges, opère et revêt ici un aspect volontairement non lissé, non rectiligne, grossi et grossier. Il y aurait en creux, tapis dans l’envers de la veste du bleu de travail, un réalisme social qui se rirait des conventions de la description balzacienne, de son souci d’être au plus près afin de mieux incarner pour… renouer, au contraire, avec un witz, un trait d’esprit rageur, redoublant certes un un-heimlich, une étrange inquiétude mais davantage déguenillée et sale.

Ragged and dirty

Solo exhibiton, Florence Loewy galerie, Paris, april 2024

Myosotis Western: Lucille Uhlrich’s Enigmas
Géraldine Gourbe


"Your clothes are ragged and dirty,
So make it ragged and dirty
And the prophecies are ragged and dirty”
William Brown, Ragged & Dirty Blues, 1942


A few notes drifting from a country guitar that punctuate each line drawled by the weary voice of a blues singer: the duet of a twanging guitar and a melancholy lament from the deep south hangs over what appears to be a series of puzzles, a collection of enigmas constructed by Lucille Uhlrich over the course of hours spent in the studio assembling raw materials foraged in the Vosges and radically bright pigments. As with prehistoric cave paintings, all the hypotheses as to the origin of these works seem to converge: the imprint of the hand behind each object, the shaky line of the sketch and the preparations made using found materials drawn from the immediate environment all imply a long stage of planning and conception, far from the spontaneity and naivety long attributed to this part of art history.
    Somewhere amongst the contrast between a field of smoky black, myosotis blue, grey violet and a suspended object heavy with gravity, however, there is a particularity that escapes the well-honed game of references and affinities: a flower that seems to return from beyond the grave with outsized proportions, or hefty fluorescent yellow clogs that appear to have slipped back through the looking glass from Alice’s wonderland. There is a feeling of things somehow going awry, one that cannot be contained by the conventional gesture often deployed in exhibitions of ceramic works wherein pieces are confined to plinths or display tables. Lucille Uhlrich seems to enjoy playing upon our expectations with these pieces which, after being kneaded, handled and worked into forms, are fired and become images again, coming close to defying their sculptural dimension – or perhaps becoming more sculptural than ever.
    We might also see them as the remnants of the artist’s long-held admiration for the Franco-Californian artist Guy de Cointet, which dates back to her days as a student at the Ecole des Beaux-Arts de Lyon. Her forms in relief that are placed flat on a vibrantly coloured surface indeed have a theatrical quality that recalls the moments in de Cointet’s plays when the actresses disappear to leave only the décor. Lucille Uhlrich creates an environment that is devoid of logical meaning and of any verbiage, be it humorous, surreal or ironic, and yet at the same time full of encoded elements, the abstraction of a lost text or of a mirrored writing. At once garrulous and silent, something like a conversation seems to begin only to shift immediately into the register of the artificial through its inability to convey a message.
    If there is some magical society at work in this suspended world, it perhaps lies in a certain relationship to time that is far more secretive than the one we experience in the present day. There is the time of the collection of materials, and the impact of the climate and the seasons upon them, the time of firing, which takes place in a small kiln that requires that each piece be cut-up into several smaller parts. This is followed by what Lucille Uhlrich refers to as the moment of repair, the point at which she reassembles the different parts of her works, painting and drawing on their surfaces. Finally, she places the ceramics in tension, suspending them on a hook, a precarious display system on which their survival depends entirely.
    There is also the impact of a social chronos upon our bodies, the time spent with each gesture and the labour of Lucille’s grandparents who once worked the earth of the kitchen garden where she lives and works today, taking root ever deeper in the landscape: to this day, their clogs sit in the garden, symbolic guardians of the space. There are the farmers who harvest the fields around the artist's studio and who supply her with hay, labouring against the truncated, fragmented time of ultra-capitalism, which diminishes ever further our capacity to barter and trade with one another, and undermines the few communities that depend upon these practices for survival. A small and very Californian assemblage, Les larmes du gitan [The Tears of the Gypsy], encapsulates the violence meted out by this system, of which forced sedentarization is just one symptom.
This raw, harsh reality, a kind of social western set in the mountains of the Vosges, operates and takes on here an intentionally uneven, non-rectilinear appearance, coarse and coarsened. Lurking on the inside of the workman’s overalls is a social realism that mocks the conventions of Balzacian description and its desire to cleave as closely as possible to its subjects so as to better embody them, deploying instead a witz, a furious witticism that embraces the unheimlich at its most ragged and dirty.

HAX

par Camille Azaïs, pour la revue 02, juillet 2022

On entre dans l’exposition « HAX » de Lucille Ulrich comme un oiseau bascule entre deux ciels, à l’heure où le soleil n’est plus qu’un halo de clarté à l’horizon et où deux bleus s’affrontent autour de lui. À gauche, une grande peinture murale d’un bleu très pâle, sur laquelle se découpe la silhouette en terre cuite d’une lune ambigüe. À droite, un éclat de poussière sur fond bleu soutenu, bleu-tombée-du-jour, où volent les éléments disloqués d’un balai de sorcière. L’ambiance serait céleste, aérienne, portée par une dynamique chaotique et gracieuse : une ode au vol, teintée d’onirisme bachelardien(1). Sauf qu’à la place de l’oiseau, le regard tombe sur une créature chétive et souffrante, la gueule ouverte, comme engluée dans la fange noire d’une catastrophe pétrolière : une sculpture de grès noirci dont la forme de volatile se prolonge en main humaine, et dont le cri jeté vers le ciel m’évoque la femme hurlante du Guernica de Picasso, son enfant mort entre les bras. Le ton est donné : « HAX » fait cohabiter la joie et la souffrance comme le lourd et le léger, le vide et le plein. Et la sorcière du titre(2), loin d’être une figure historique, anthropologique ou militante, est ici une amorce : un ensemble de motifs saisis et jetés en vol, et qui demandent, comme des osselets, à être lus une fois retombés au sol.

Sorcière : un être qui entretient un rapport privilégié à la vie même, aux plantes, aux animaux, aux corps malades, aux enfants à naître. Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’en faisant des sorcières des héroïnes de la transe chamanique, des championnes de la spiritualité, nous les avons éloignées de ce qui comptait le plus, à savoir la matière. Au centre de cette première salle, Lucille Uhlrich a groupé trois silhouettes en plâtre, baptisées « cercle de sorcières », l’une élancée et portant une sorte de panier sur sa tête, l’autre long col d’oiseau, et la troisième ressemblant à un nouveau-né sans visage. Leurs formes pleines et rondes s’ouvrent soudain sur des creux, comme si leur vraie fonction était d’être des contenants pour une sorte de nid de brindilles et d’herbes sèches. Si on y mettait le feu, comment réagirait le plâtre ? semble demander Lucille Uhlrich. Comment réagira la matière aux formes et aux imaginaires auxquelles les sculptures la soumettent ? Car si, en nous penchant sur les détails des œuvres, nous croyons traverser une forêt de signes empruntés à l’imaginaire populaire de la sorcière : berceaux, balais, sortilèges, herbes, grimoires…, nous nous apercevons que Lucille Uhlrich nous tient en fin de compte au plus proche de ses questions de sculptrice.

Lucille Uhlrich a déjà parlé ailleurs(3) de son rapport contrarié à sa langue maternelle, l’alsacien, une langue qu’elle a refusé de parler pendant de nombreuses années. « HAX » poursuit un travail entamé ces derniers années, de recherche autour de mots anciens ou oubliés. Les sculptures de Lucille Uhlrich peuvent se comprendre comme des tentatives de retrouver l’usage d’une langue perdue : non pas son alsacien natal, mais une langue plus universelle ancrée dans l’enfance, sa « langue de lait ». Le lait, ici encore, fait un détour par la légende (les sorcières étaient souvent accusées de voler le lait, ou de le faire tourner) pour devenir une matière douée de sa propre volonté. Au sol, dans la seconde salle, un pot en grès contient une matière blanche (du plâtre) figée autour d’une sorte de pieu. Cette œuvre, « Le Sortilège », peut aussi se lire comme la mise en forme d’une tension explosive, celle qui existe entre le plâtre et la terre. « Si une particule de plâtre se glisse dans la terre, la sculpture éclate dans le four ». Je songe aussi à cette apparition très matérielle : quand on fouette la crème du lait, qui est si parfaitement blanche, il existe un point de rupture où la matière se sépare en deux et fait apparaître une éclatante couleur jaune dissimulée sous sa blancheur de plâtre, le beurre. Le lait révèle alors son secret, celui d’être une émulsion, c’est-à-dire une matière double où eau et graisse tiennent ensemble par le pouvoir quasi-magique de l’animal. Il me semble que les œuvres de Lucille Uhlrich procèdent de la même magie, des mêmes miracles élémentaires.

Georges Didi-Huberman(4) cite un nouvelle de Marguerite Yourcenar pour aborder la matière « lait » par le biais d’un conte populaire : « Le Lait de la mort ». Dans ce conte, une femme emmurée dans une tour nourrit son enfant à travers les pierres, par-delà la mort. Étrange image : le lait suinte des pierres. Chez Lucille Uhlrich, des formes creuses et gonflées, par exemple une fleur en terre cuite présentant un orifice, évoquent la possibilité d’un plein, d’un enfantement, mais les matières sont sèches et pierreuses, notamment à cause de la technique du grès qu’elle affectionne tout particulièrement et qui transforme la terre en pierre. Au sol, la dernière pièce de l’exposition est une forme creuse en grès marquée de traces verticales comme les signes d’une langue primitive, contenant des sarments de vigne noircis. Cette sorte de pierre sacrée à la présence silencieuse m’évoque le texte de Didi-Huberman, et l’idée que les œuvres sont toujours construites sur des histoires terribles, des mères emmurées et des paradis perdus. Les sorcières, en fin de compte, sont surtout des allégories de la souffrance humaine : elles ont aussi perdu la vie pour nous, elles on été torturées, pendues, brûlées ou emmurées vives pour avoir aidé des femmes à enfanter ou à avorter, ce qui, ne l’oublions pas, pourrait nous arriver, à nous aussi(5).

(1) G.Bachelard, L’air et les songes, 1943.

(2) « Hax » signifie « sorcière » en alsacien.

(3) Voir l’exposition « Frouwaschuo » au Centre d’art des Capucins, Embrun, et l’exposition « Uralt » à la galerie Lefebvre, Paris.

(4) https://www.sarkis.fr/qle-lait-de-la-mort-par-georges-didi-huberman/

(5)A l’heure où ces lignes sont écrites, les Etats-Unis d’Amérique criminalisent l’avortement : on enverra donc de nouveau des femmes en prison pour avoir osé être maîtresses de leurs corps.



 

Üràlt

Exposition personnelle curatée par Anissa Touati à la galerie Louis Lefebvre

Ces derniers mois, Lucille Uhlrich s'est installée à la lisière de la forêt de Saverne qui s’étend sur le versant alsacien des Vosges et des champs, à la frontière entre la France et l’Allemagne. Cette forêt regorge de vestiges archéologiques des périodes néolithique, gallo-romaine et du haut Moyen Age, et de rochers portant les légendes des cosmologies germaniques. Lucille Uhlrich trouve dans cette forêt une matrice régénératrice, un réveil archaïque, des sentiments familiers pour une nature à la fois support du vivant et prédatrice.
L’artiste expérimente un retour aux origines géographiques et familiales, pourtant source de son mutisme dans l’enfance: l’impossibilité alors de parler sa langue maternelle. Une langue en voie de disparition, une bibliothèque qui brûle où chaque mot va bientôt s’éteindre. Enfant, elle a préféré le silence. Un "mutisme sélectif" qui a galvanisé  sa pratique artistique, un langage où le sens ne s’installe pas, comme un rébus évolutif où l’écriture et le regard se ressemblent.
L’exposition Üràlt, de l’alsacien depuis la nuit des temps, contient étymologiquement le point de départ et l’âge, un sens qui ne dépend pas du temps : il est, tout simplement. Les œuvres de l’exposition mettent en place un langage où les formes ne se fixent pas. Elles sont dans un état d’indétermination entre un signifiant et plusieurs signifiés. Uhlrich associe des objets réels ou fantasmés produits, glânés, issus de son quotidien et de ses expériences. Tout se passe entre les lignes créant un passage de l’un à l’autre, un équilibre fragile. Lucille Uhlrich met en place une circulation des éléments et des formes : « J’aime les œuvres d’art poétiques, où quelque chose du langage est brisé, où la dénotation n'est pas verrouillée ».
Des baguettes de batterie, récupérées lors de son premier concert de rock et jetées par le musicien dans la foule, des larmes bleues en plâtre qui tombent et reposent sur le bout du nez d’une sculpture zoomorphe. Des larmes amovibles, comme des ornements, pour redéfinir notre relation à nos émotions : les porter et douter de leurs valeurs. Des formes marines indéterminées entre coquille, oreille ou bénitier interpellant nos jeux enfouis d’enfance où la corde et la perle ont perdu leur usage, mais nous rappellent une odeur familière, un souvenir, sans savoir vraiment lequel.
Toujours à la frontière entre deux endroits, entre deux mots, l’artiste trouve un équilibre dans une étrange fragilité. Et à nouveau, Lucille Uhlrich met en relation un simple contenant à petit bois, une tige de bambou, une goutte de cire d’abeille. Cette goutte est stylisée d’une infidélité à l’échelle et évoque nos jeux d’enfants, où les  éléments et les formes sont accentués par leur nouveauté : « Une pièce me laisse tranquille quand j'y trouve un étonnement qui dure ».
Puisqu’il est processus, le passage guide l’œuvre de Lucille Uhlrich invoquant le mouvement de la métamorphose, la possibilité un jour de devenir un autre. La pièce, Vase ex-voto évoque cette notion de transformation autour de matériaux dérisoires, objets fétiches de son enfance (un porte clef de PMU, une fausse pelure d’orange, une meule…) et d’un vase corne d’abondance troué en son centre. L’artiste met en tension liquidité et aridité, dans un mouvement semblable à l'activité ancestrale de guetter les pluies et les lunes. L’eau y est symbole d’un état transitoire entre des possibles encore informels et des réalités évidentes.
Une ligne bleue traverse les œuvres et l’exposition incarnant la fluidité d’une écriture. Qu’elle vienne des profondeurs, de la terre ou du ciel, cette ligne est empreinte d’un principe primitif,  l’idée de transformation et de devenir.
« Le passage est en nous, on le porte à l’intérieur de soi…Personne ne peut y échapper, il est là dès le début. Il ne vous lâche que quand vous partez, c’est comme la vie et la mort. »
extrait du film Passage de Juraj

Anissa Touati, janvier 2021

Üràlt

Solo show curated by Anissa Touati at galerie Louis Lefebvre

In recent months, Lucille Uhlrich settled at the edge of the forest of  Saverne which stretches on the Alsatian slope of the Vosges and thefields, on the border between France and Germany. This forest is fullof archaeological remains from the Neolithic, Gallo-Roman and HighMiddle Ages periods, and rocks bearing the legends of Germaniccosmologies. LucilleUhlrich finds in this forest a regenerating matrix, an archaicawakening, familiar feelings for a nature that is both a support forliving things and predatory.
Theartist experiences a return to geographic and family origins, yet thesource of her silence in childhood: the inability to speak her mothertongue. An endangered language, a burning library whereevery word will soon die out. As a child, she chose to be silent. A selective mutism that galvanized her artistic practice, alanguage where meaning does not settle down, like an evolving rebus in which writing and watching seem similar.

The exhibition Üràlt, in Alsatian since the dawn of time, etymologically containsthe point of departureand age, ameaning that does not depend on time: it simply is. Theworks in the exhibition set up a language in which forms are notfixed. They are in a state of indeterminacy between one signifier andseveral signifieds. Uhlrichassociates real or fantasized objects produced, gleaned, from herdaily life and her experiences. Everything happens between the linescreating a passage from one to the other, a fragile balance. LucilleUhlrich sets up a circulation of elements and forms: "I like poetic works of art, where something of the language is broken, where the denotation is not locked".

Drumsticks, collected from her first rock concert and thrown by the musician into the crowd, blue plaster tears that fall and rest on thetip of the nose of a zoomorphic sculpture. Removabletears, like ornaments, to redefine our relationship to our emotions:wearing them and doubting of their values. Unspecified marine forms between shell, ear or baptismal font calling out to our buried childhood games where the rope and the pearl have lost their use, butremind us of a familiar scent, a memory, without really knowing whichone. Alwayson the border between two places, between two words, the artist findsa balance in a strange fragility. And again, Lucille Uhlrich connectsa simple kindling container, a bamboo stalk, a drop of beeswax. This drop is stylized with infidelity to scale and evokes our childhoodgames, where elements and shapes are accentuated by their novelty: "A work leaves me in peace when I find astonishment that lasts".

Since it’s a process, the passage guides Lucille Uhlrich's work invokingthe movement of metamorphosis, the possibility one day of becominganother. The piece, Vase ex-voto evokes this notion of transformationaround derisory materials, fetish objects from her childhood (a PMUkey ring, a fake orange peel, a grindstone ...) and a cornucopia vase with a hole in its center. The artist puts liquidity and aridity intension, in a movement similar to the ancestral activity of watchingfor rains and moons. Water is a symbol of a transitional statebetween still informal possibilities and obvious realities. A blueline crosses the works and the exhibition embodying the fluidity ofwriting. Whether it comes from the depths, of the earth or the sky, this line is imbued with a primitive principle, the idea of transformation and of becoming.


"The path is within us, we carry it within ourselves… Since the beginning, no one can escape it. This will only let you go when you will leave, like life and death. "

from the film Passage de Juraj

Revue Ingmar, Subterranea, Camille Azaïs, galerie Florence Loewy, 2018


"What is a work of art, if not a constant negociation with colour, shapes, matter and meaning? If not a precarious line of time, passing from one frame to antoher through the artist? What does it mean to draw the first line? Lucille Uhlrich’s three dimensional collage emerges temporarily from the chaos of various found and handmade materials. For Subterranea, they become seeds captures between the airs and the dark frame of an opened ground."


"Lucille Uhlrich is a french sculptor. Her practice plays with the various ways in which time passes through matter. She collects and assembles rough materials from her environment. Her forms are polymorphous and tend to maintain an open ended meaning that questions the things we leave behind."

Mon désir de m’exprimer de façon picturale et plastique tient son origine dans le contexte de mon enfance. Issue d’une famille dans laquelle se parle couramment le français, l’allemand et le dialecte alsacien, l’expérience d’un jeu fait d’incommunicabilité et d’échos entre les langues, m’a donné le désir d’inventer un moyen d’exprimer ce qu’il se passe dans l’espace libre laissé entre les mots et les choses, que les linguistes appellent aussi l’arbitraire du signe. D’autre part, témoin des manières de vivre inventives et modestes des milieux de la petite paysannerie d’où est issue ma mère, je me suis attachée à poursuivre cet autre art en concevant ma pratique comme un certain rapport à la nature et aux matériaux. Ceci m’a conduit à penser ce que l’on pourrait appeler l’écologie de mon geste artistique. J’ai ainsi d’abord pratiqué l’assemblage dans des grandes villes de manière chiffonnière, c’est à dire avec les rebuts de l’économie marchande qui m’entouraient. Puis à partir de 2020, lorsque je me suis installée aux abords de la forêt de Saverne, ma pratique s’est centrée sur le glanage et la transformation des matériaux environnants : la terre, la pierre, le bois, les cendres.

"La continuité du travail de lucille Uhlrich tient dans sa conviction qu’il n’y a pas de progrès en Art, mais des conjugaisons d’époques et de styles où sens et émerveillement se rencontrent dans ce qu’un penseur comme Walter Benjamin appelle des ‘’images dialectiques’’. Pour réaliser de telles images, elle télescope et assemble les moyens techniques dans le but de produire des syntagmes graphiques dont l’ambiguïté et la polymorphie interpellent le spectateur au coeur de sa propre manière de comprendre et de donner du sens. Plastiquement, son travail se caractérise donc par un jeu ouvert avec la référence aux langages et par un certain goût pour l’invention d’équilibres instables qui renouvellent la perception des associations entre matières et formes."

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